CYRANO DE BERGERAC ET FLORIAN : JEU DE COMPARAISON

Article publié le mardi 17 avril 2007 par T.Maligne
Florian est un fabuliste (pas un élève) !

... chercher les ressemblances entre les extraits de Florian, grand fabuliste du 18e siècle, (100 ans après La Fontaine), et Rostand, grand dramaturge du 19e. 

Quand Rostand était petit, il y a des chances qu’il ait eu à lire et à étudier des fables de Florian, en classe…

Qu’en pensez-vous ?

 

Précision : la meilleure édition des Fables de Florian est celle de M. Jean-Noël Pascal. C’est complet, avec des notes discrètes et toujours utiles. Je recommande. Nous avons recopié les Fables dans cette édition.

Si vous manquez de nez, pour vous aider, le premier extrait a deux exemples surlignés.

Rostand, Cyrano de Bergerac.

Fables de Florian

 

 

Acte II, scène 8

 

Cyrano :
  
Et que faudrait-il faire ? ...
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s’ en fait un tuteur en lui léchant l’ écorce,

Grimper par ruse au lieu de s’ élever par force ?
Non, merci. Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers ? Se changer en bouffon
Dans l’ espoir vil de voir, aux lèvres d’ un ministre,
Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
Non, merci. Déjeuner, chaque jour, d’ un crapaud ?
Avoir un ventre usé par la marche ? Une peau
Qui plus vite, à l’ endroit des genoux, devient sale ?
Exécuter des tours de souplesse dorsale ? ...
Non, merci. D’ une main flatter la chèvre au cou
Cependant que, de l’ autre, on arrose le chou,
Et donneur de séné par désir de rhubarbe,
Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe ?
Non, merci ! Se pousser de giron en giron,
Devenir un petit grand homme dans un rond,
Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,
Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ?
Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy
Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci !
S’ aller faire nommer pape par les conciles
Que dans des cabarets tiennent des imbéciles ?
Non, merci ! Travailler à se construire un nom
Sur un sonnet, au lieu d’ en faire d’ autres ? Non,
Merci ! Ne découvrir du talent qu’ aux mazettes ?
Être terrorisé par de vagues gazettes,
Et se dire sans cesse : oh, pourvu que je sois
Dans les petits papiers du Mercure François ?
Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême,
Préférer faire une visite qu’ un poème,
Rédiger des placets, se faire présenter ?
Non, merci ! Non, merci ! Non, merci ! Mais... Chanter,
Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l’ oeil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre, -ou faire un vers !
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
À tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
N’ écrire jamais rien qui de soi ne sortit,

Et modeste d’ ailleurs, se dire : mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c’ est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !
Puis, s’ il advient d’ un peu triompher, par hasard,
Ne pas être obligé d’ en rien rendre à César,
Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,
Bref, dédaignant d’ être le lierre parasite,
Lors même qu’ on n’ est pas le chêne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !


 

Florian, Livre I, Fable XV

 

Le Lierre et le Thym

 

Que je te plains, petite plante !

Disait un jour le lierre au thym :

Toujours ramper, c’est ton destin ;

Ta tige chétive et tremblante

Sort à peine de terre, et la mienne dans l’air,

Unie au chêne altier que chérit Jupiter,

S’élance avec lui dans la nue.

Il est vrai, dit le thym, ta hauteur m’est connue ;

Je ne puis sur ce point disputer avec toi :

Mais je me soutiens par moi-même ;

Et sans cet arbre, appui de ta faiblesse extrême,

Tu ramperais plus bas que moi.

 

Traducteurs, éditeurs, faiseurs de commentaires,

Qui nous parlez toujours de grec ou de latin

Dans vos discours préliminaires,

Retenez ce que vous dit le thym.

 

In  : Florian, Fables, édition de Jean-Noël Pascal, Centre international d’étude du XVIIIe siècle, Ferney-Voltaire, 2005. NB : je n’ai pas reproduit les notes de M. Pascal.

 

 

 

 

 

 

Sur le personnage de Ragueneau

 

ACTE II, SCENE 4


Ragueneau, qui s’ est préparé à réciter, qui a
toussé, assuré son bonnet, pris une pose
 :
Une recette en vers...


Deuxième Poète, au premier, lui donnant un
coup de coude 
 :


Tu déjeunes ?


Premier Poète, au deuxième  :


Tu dînes ?

Ragueneau  :


Comment on fait les tartelettes amandines.
Battez, pour qu’ ils soient mousseux,
Quelques oeufs ;
Incorporez à leur mousse
Un jus de cédrat choisi ;
Versez-y
Un bon lait d’ amande douce ;
Mettez de la pâte à flan
Dans le flanc
De moules à tartelette ;
D’ un doigt preste, abricotez
Les côtés ;
Versez goutte à gouttelette
Votre mousse en ces puits, puis
Que ces puits
Passent au four, et, blondines,
Sortant en gais troupelets,
Ce sont les
Tartelettes amandines !


Les Poètes, la bouche pleine  :


exquis ! -délicieux !


Un Poète, s’ étouffant  :


homph !


(ils remontent vers le fond, en mangeant. Cyrano
qui a observé s’ avance vers Ragueneau.)


Cyrano :


bercés par ta voix,
ne vois-tu pas comme ils s’ empiffrent ?


Ragueneau, plus bas, avec un sourire :


Je le vois...
Sans regarder, de peur que cela ne les trouble ;
Et dire ainsi mes vers me donne un plaisir double,
Puisque je satisfais un doux faible que j’ ai
Tout en laissant manger ceux qui n’ ont pas mangé !

Cyrano, lui frappant sur l’ épaule  :


Toi, tu me plais ! ...

 

 

Livre III, Fable IX

Le Sanglier et les Rossignols

 

Un homme riche, sot et vain,

Qualités qui parfois marchent de compagnie,

Croyait pour tous les arts avoir un goût divin,

Et pensait que son or lui donnait du génie.

Chaque jour à sa table on voyait réunis

Peintres, sculpteurs, savants, artistes, beaux esprits,

Qui lui prodiguaient les hommages,

Lui montraient des dessins, lui lisaient des ouvrages,

Écoutaient les conseils qu’il daignait leur donner,

Et l’appelaient Mécène en mangeant son dîner.

Se promenant un soir dans son parc solitaire,

Suivi d’un jardinier, homme instruit et de sens,

Il vit un sanglier qui labourait la terre,

Comme ils font quelquefois pour aiguiser leurs dents.

Autour du sanglier, les merles, les fauvettes,

Surtout les rossignols, voltigeant, s’arrêtant,

Répétaient à l’envi leurs douces chansonnettes,

Et le suivaient toujours chantant.

L’animal écoutait l’harmonieux ramage

Avec la gravité d’un docte connaisseur,

Baissait parfois la hure en signe de faveur,

OU bien, la secouant, refusait son suffrage.

Qu’est-ce ci ? dit le financier :

Comment ! les chantres du bocage

Pour leur juge ont choisi cet animal sauvage !

Nenni, répond le jardinier :

De la terre, par lui fraîchement labourée,

Sont sortis plusieurs vers, excellente curée,

Qui seule attire ces oiseaux ;

Ils ne se tiennent à sa suite

Que pour manger ces vermisseaux,

Et l’imbécile croit que c’est pour son mérite.

 

 

 

 

 

 

 

 

Cyrano (Acte I, Scène 4) :


moi, c’ est moralement que j’ai mes élégances.
Je ne m’ attife pas ainsi qu’ un freluquet,
mais je suis plus soigné si je suis moins coquet ;
je ne sortirais pas avec, par négligence,
un affront pas très bien lavé, la conscience
jaune encore de sommeil dans le coin de son oeil,
un honneur chiffonné ! Des scrupules en deuil.
Mais je marche sans rien sur moi qui ne reluise,
empanaché d’ indépendance et de franchise ;
ce n’ est pas une taille avantageuse, c’ est
mon âme que je cambre ainsi qu’ en un corset,
et tout couvert d’ exploits qu’ en rubans je m’ attache,
retroussant mon esprit ainsi qu’ une moustache,
je fais, en traversant les groupes et les ronds,
sonner les vérités comme des éperons.

 

 

Et aussi :

 

(Acte II - scène 10)

 

Cyrano
nous avons toujours, nous, dans nos poches,
des épîtres à des Chloris… de nos caboches,
car nous sommes ceux-là qui pour amante n’ ont
que du rêve soufflé dans la bulle d’ un nom ! …
prends, et tu changeras en vérités ces feintes ;
je lançais au hasard ces aveux et ces plaintes :
tu feras se poser tous ces oiseaux errants.
Tu verras que je fus dans cette lettre-prends ! -
d’ autant plus éloquent que j’ étais moins sincère !


 

Livre IV, Fable 3

Le Courtisan et le dieu Protée

 

 (…)

Tu veux me vaincre dans mon art,

Disait le courtisan : mais depuis mon enfance,

Plus que ces animaux avide, adroit, rusé,

Chacun de ces tours-là pour moi se trouve usé.
Changer d’habit, de mœurs, même de conscience,

Je ne vois rien là que d’aisé.

(…)

 

 

 

 

Livre Premier, Fable 1

 

La Fable et la Vérité

 

La Vérité toute nue

Sortit un jour de son puits.

Ses attraits par le temps étaient un peu détruits,

Jeune et vieux fuyaient sa vue.

La pauvre Vérité restait là morfondue,

Sans trouver un asile où pouvoir habiter.

À ses yeux vient se présenter

LA Fable richement vêtue,

Portant plumes et diamants,

La plupart faux, mais très brillants.

Eh ! vous voilà ! bonjour, dit-elle :

Que faites-vous ici seule sur un chemin ?

La Vérité répond : Vous le voyez, je gèle ;

Aux passants je demande en vain

De me donner une retraite,

Je leur fais peur à tous. Hélas ! je le vois bien,

Vieille femme n’obtient plus rien.

Vous êtes pourtant ma cadette ;

Dit la Fable, et, sans vanité,

Je suis fort bien reçue.

Mais aussi, dame Vérité,

Pourquoi vous montrez-vous toute nue ?

Cela n’est pas adroit. Tenez, arrangeons-nous ;

Qu’un même intérêt nous rassemble :

Venez sous mon manteau, nous marcherons ensemble.

Chez le sage, à cause de vous,

Je ne serai point rebutée ;

À cause de moi, chez les fous

Vous ne serez point maltraitée.

Servant par ce moyen chacun selon son goput,

Grâce à votre raison et grâce à ma folie,

Vous verrez, ma sœur, que partout

Nous passerons de compagnie.

 

 

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